Victor Hugo (1802 – 1885) Recueil publié en 1872: L'Année Terrible. A qui la faute? Tu viens d'incendier la Bibliothèque? - Oui. J'ai mis le feu là. - Mais c'est un crime inouï! Crime commis par toi contre toi-même, infâme! Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme! C'est ton propre flambeau que tu viens de souffler! Ce que ta rage impie et folle ose brûler, C'est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage Le livre, hostile au maître, est à ton avantage. Le livre a toujours pris fait et cause pour toi. Une bibliothèque est un acte de foi Des générations ténébreuses encore Qui rendent dans la nuit témoignage à l'aurore. Quoi! dans ce vénérable amas des vérités, Dans ces chefs-d'oeuvre pleins de foudre et de clartés, Dans ce tombeau des temps devenu répertoire, Dans les siècles, dans l'homme antique, dans l'histoire, Dans le passé, leçon qu'épelle l'avenir, Dans ce qui commença pour ne jamais finir, Dans les poètes! quoi, dans ce gouffre des bibles, Dans le divin monceau des Eschyles terribles, Des Homères, des jobs, debout sur l'horizon, Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison, Tu jettes, misérable, une torche enflammée!
Nous verrons tout d'abord l'éloge de la culture littéraire fait par Hugo, puis nous nous attarderons sur les multiples dénonciations qui ressortent du poème. En premier lieu, le texte fait un éloge de la culture littéraire. En effet, le livre est personnifié tout au long du poème: « Le livre hostile au maitre », v 10; « Il est ton médecin, ton guide, ton gardien » v 52. Par cela Hugo fait prendre conscience au lecteur que le livre a une âme et est le fruit du travail des humains. En outre, l'utilisation de pronoms possessifs de la deuxième personne du singulier, « ton libérateur » v 27, nous montre que le live est un bien universel et à la portée de tout le monde puisqu'il concentre le savoir tout entier. De plus, on remarque la présence du champ lexical de la lumière pour désigner la bibliothèque et le livre: « le rayon » v 6, « l'aurore » v 14, « clartés » v 16. On peut ajouter à cela une gradation désignant le pouvoir du livre, « Il luit parce qu'il brille et qu'ils les illuminent ».
De tout l'esprit humain tu fais de la fumée! As-tu donc oublié que ton libérateur, C'est le livre? Le livre est là sur la hauteur; Il luit; parce qu'il brille et qu'il les illumine, Il détruit l'échafaud, la guerre, la famine Il parle, plus d'esclave et plus de paria. Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria. Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille L'âme immense qu'ils ont en eux, en toi s'éveille; Ébloui, tu te sens le même homme qu'eux tous; Tu deviens en lisant grave, pensif et doux; Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître, Ils t'enseignent ainsi que l'aube éclaire un cloître À mesure qu'il plonge en ton coeur plus avant, Leur chaud rayon t'apaise et te fait plus vivant; Ton âme interrogée est prête à leur répondre; Tu te reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre, Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs, Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs! Car la science en l'homme arrive la première. Puis vient la liberté. Toute cette lumière, C'est à toi comprends donc, et c'est toi qui l'éteins!
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