Si l'on ajoute à cela que Jusque dans vos bras a été créé pendant la campagne présidentielle de 2017 en s'attaquant au concept délicat et contestable d'ʺidentité nationaleʺ, vous imaginerez aisément combien le résultat peut être explosif. Eh bien soyez certain et certaine qu'alors, vous serez encore bien loin de la réalité. Sur le plateau, un réverbère et de la pelouse: l'Espace Public par excellence, celui de la République, éclairé et entretenu par elle. L'éclairage public a une mission civilisatrice: il sort la rue de la sauvagerie, permet à tous de se déplacer librement et est officiellement reconnu comme pourvoyeur de lien social. Tout se passe sous le réverbère, les amoureux s'embrassent et y gravent leurs initiales, le voisin lit son journal, la prostituée attend son prochain client, le poète griffonne ses vers, le groupe de jeunes s'y donne rendez-vous, même le chien est irrésistiblement attiré, sans parler des papillons. Tant et si bien que se produit même un ʺeffet réverbèreʺ: selon la parabole qui s'y rattache, un homme qui a perdu ses clés dans la rue la nuit ira les chercher sous le réverbère plutôt que là où il les a perdues, car c'est là où il y a de la lumière.
Jusque dans vos bras Théâtre Jacques Carat à Cachan 21, avenue Louis Georgeon 94230 Cachan RER: Arcueil - Cachan (ligne B, puis bus 162 ou 187, ou 15 minutes de marche) Bus: arrêt Mairie de Cachan (lignes 162, 184, 187)
A travers les débordements et l'outrance des situations, c'est finalement une forme d'exaspération face à un sujet si bien instrumentalisé que les comédiens communiquent au public. Points forts - Une pièce réjouissante, dynamique et loufoque, stimulée par un "esprit de troupe": les scènes sont foisonnantes, les réparties fusent et le public n'a pas une seconde de répit. - Loin de s'enfermer dans une thèse, le spectacle aborde le thème de l'identité nationale sous différents aspects (immigration, xénophobie, figures nationales... ) et par différents registres (comique de situation, chorégraphie, comédie bobo, farce burlesque... ), offrant ainsi un spectacle d'une grande variété. - Des comédiens époustouflants, co-créateurs du spectacle, qui, pour divertir le public, n'hésitent pas à bousculer les codes rassurants du spectacle vivant. - On admire les costumes excentriques et les mises en scène inventives. Le bestiaire qui se mêle aux personnages ne manque jamais son effet. Quelques réserves Je n'en vois pas, le spectacle tient ses promesses.
Ainsi avons-nous tendance, pour comprendre un phénomène, à nous focaliser uniquement sur ce qui est visible de tous, aisément concevable et quantifiable, et qui permet à tout un chacun d'exprimer un avis sur tout en deux coups de cuillère à pot. La face émergée de l'iceberg, celle dont on fait des hashtags. C'est de cela que sont partis les Chiens de Navarre, ces images qui nous arrivent quotidiennement, qui pourraient tout remettre en question si on les regardait en face, mais qui se muent tout au plus en buzz dans un grand éclat de lumière qui les appauvrit, les simplifie, en efface tous les contrastes pour finalement les vider de sens et les jeter dans l'oubli en les recouvrant des suivantes. Un scandale chasse l'autre et seul compte l'instant de fièvre de son apparition et d'une indignation collective de pacotille, qui tourne le plus souvent à l'invective. Ainsi ces images apparaissent-elles, familières, sur le plateau: cette femme éplorée sur un cercueil recouvert du drapeau français; ce canot de migrants en perdition; ces cosmonautes et leur drapeau, encore; ce pique-nique saucisson-vin rouge; ce bureau-placard de l'Ofpra, antichambre du centre de rétention administrative; ce couple de bobos à la belle bibliothèque qui invite un trio de migrants sur son canapé blanc.
Elle leur conserve sincérité et humilité. En outre, bien que leur regard sur l'humanité soit acéré, ils ne le livrent pas une seconde de façon surplombante ou en prétendant avoir les réponses: ils soulèvent les paradoxes, soulignent les obscénités, mais ne s'en extraient pas. Le tout, en rappelant en permanence au spectateur qu'il est au théâtre, que tout cela ne doit pas se prendre au sérieux, parce que le vrai drame se joue tous les jours, dehors. Une bienveillante main tendue pour agir ensemble, en même temps qu'un miroir sans concession. Ainsi, plus d'une fois, le rire franc et bon enfant du public évolue-t-il en rire jaune, qui devient gêné, nerveux, crispé face à nos propres laideurs. Des mots que l'on a entendus, que l'on a laissé dire, que l'on a prononcés parfois. Des paroxysmes et des caricatures pourtant si proches de la réalité, nous renvoyant à nos propres limites: jusqu'où peut-on aller, que peut-on supporter encore sans rien faire? Telle la fameuse expérience de Milgram qui mesurait jusqu'où pouvait en arriver une majorité de la population, amenée à torturer des gens, sans malveillance, seulement par soumission à l'autorité.
Commençons par une anecdote: les spectateurs s'installent. Quelques rangs devant moi, en catégorie 1 (je suis en orchestre, mais catégorie 2, près de la régie), une famille. Jean-Christophe Meurisse, le metteur en scène, vient les prévenir qu'il pourrait y avoir des images choquantes pour des enfants (ici une petite fille/jeune adolescente de douze ans): de la nudité, des gros mots, du sang, etc, les Chiens de Navarre quoi. Les parents paraissent conscients de ce qu'ils emmènent voir à leur fille. Meurisse leur répond qu'il a aussi des enfants de cet âge-là, qu'il est dans son rôle de metteur en scène, qu'il sur-protège peut-être ces jeunes spectateurs, car oui le nouveau spectacle des Chiens de Navarre est peut-être moins sexuellement graphique, mais il n'en dit pas moins. Il était évident que ces Chiens (de France et) de Navarre en arriveraient à évoquer cette fameuse identité et ce spectacle, comme tous d'ailleurs, démarre avec un Bang! Je fais une généralité, mais entre le Christ qui interpelle le public du haut de sa croix dans les Armoires Normandes et cette fois-ci un enterrement avec cette famille et ses amis, déchirés par le chagrin et qui s'entre-déchirent au son des Beatles (All you need is love… qui démarre, tiens donc, par les premières mesures de la Marseillaise), on entre de plein fouet dans le vif du sujet.
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