ARTE, sam17 août 2019. OFFENBACH: Orphée aux enfers (Kosky). Depuis Salzbourg 2019. L'édition 2019 du Festival de Salzbourg consacre le génie lyrique d'Offenbach par une nouvelle production d' Orphée aux Enfers (1858) mise en scène par l'australien Barrie Kosky dont la truculence et l'impertinence offrent de nouvelles clés de lecture et de compréhension. Nul doute que l'opéra bouffon qui fut le plus grand succès de Jacques aux Bouffes-Parisiens à la fin des années 1850 ne stimule la verve délirante du metteur en scène et directeur (depuis 2012) du Komische Oper Berlin. Son goût de la parodie, des travestissements, pour l'esprit surréaliste du théâtre burlesque aussi enrichissent une sensibilité tournée sur la dérision et la dénonciation des vacuités contemporaines. Juif homosexuel d'origine hongroise, Kosky cultive l'humour et l'autodérision, ayant été possédé par le démon de l'opéra dès ses 7 ans (sa grand mère l'ayant emmené avec elle pour une représentation de Madama Buttefly de Puccini dont il ne s'est toujours pas remis).
Depuis, lunettes sur le nez à la Woody Allen, Barrie Kosky se définit comme un "kangourou juif homosexuel". Pour le Festival de Bayreuth 2018, il mettait en scène Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg, dénonçant l'enfermement idéologique et esthétique, comme l'antisémitisme viscéral de Wagner dans son fief de Bayreuth… Barrie KOSKY et Enrique Mazzola – Salzbourg 2019 – Photo: SF/Anne Zeuner Déjà en 1858, Offenbach savait tourné en dérision scabreuse l'Antiquité et la mythologie grecque à travers les variations conjugales du couple Orphée et Eurydice. Celle ci aime le jeune Aristée (en réalité Pluton fatal)… infidélité, désir et liberté sexuelle sont de mise dans cette critique en règle des mœurs décadentes du Second Empire. Les deux héros qui chez Monteverdi ou Gluck incarnent l'absolu de l'amour tragique, sont déjà éreintés et insatisfaits chez Offenbach: Eurydice ne supporte plus le violon de son époux, et celui-ci aimerait jouer son instrument ailleurs et séduire d'autres beautés plus affables… Mais le compositeur propose une relecture du mythe d'Orphée; car celui ci poussé par l'Opinion Publique, après le rapt d'Eurydice par Pluton, rejoint les enfers pour y reprendre sa belle.
La variété et l'inventivité des costumes, en revanche, participent grandement du plaisir que l'on éprouve à regarder ce spectacle, porté de bout en bout par une idée géniale: avoir confié l'intégralité des dialogues parlés (en allemand) à un personnage secondaire (John Styx, valet de Pluton aux Enfers), joué par le formidable comédien Max Hopp. Omniprésent sur scène, il « double » en direct les protagonistes dans un synchronisme parfait avec leurs mouvements de lèvres, changeant sans cesse de voix, et assurant même les bruitages! Une manière originale (et tordante) d'unifier un casting vocal disparate, tout en faisant pardonner, sinon oublier, le français plus ou moins chaotique dans lequel chantent la plupart des interprètes (la palme de la précision revenant au Pluton/Aristée de Marcel Beekman et à la Vénus de Lea Desandre, et celle du flou artistique au Mercure de Peter Renz). Musicalement, tout va mieux que bien, grâce au Philharmonique de Vienne et à la direction élégante et raffinée d'Enrique Mazzola.
Il y a trouvé le juste équilibre d'humour et de sérieux qui sied à cette œuvre cocasse et cruelle (pour mémoire, Candide et ses proches traversent « le meilleur des mondes possibles », selon leur précepteur Pangloss, en subissant partout les pires avanies), en jouant habilement sur l'élasticité du temps (avec des scènes volontairement très lentes, et d'autres au rythme frénétique), et en revenant au texte original de Voltaire chaque fois que se posait un problème de cohérence ou de continuité. Si la scénographie frappe par sa légèreté (des meubles ou des objets suffisent à créer des tableaux sur un plateau presque vide), la mise en scène fourmille d'idées qui font mouche. Comme cette introduction portée (au sens propre) par un Voltaire ployant sous une perruque géante, dont il se débarrassera au plus vite, et qui nous fait entrer d'emblée dans le registre du conte. Ou cette scène satirique d'autodafé transformé en fête populaire, avec danseuses emplumées s'agitant entre les exécutions, et actualisation discrète du discours: parmi les victimes de l'Inquisition, on trouve une famille de réfugiés.
Dans l'autre monde, Orphée et les spectateurs découvrent plaisirs et luxure auxquels s'adonnent sans limite ni morale Pluton bientôt assisté de Jupiter qui séduit Eurydice sous la forme d'une mouche! Choquant l'Opinion Publique (et l'hypocrite morale sociale, faussement choquée), orgie et frasques en tout genre s'invitent au banquet infernal, délivrant une vision des dieux antiques (et de la société humaine), sans retouches, brutes, scabreuse voire délurée, trépidante… On célèbre Bacchus et tous les excès pourvu qu'ils enivrent (dernier cancan endiablé ou galop infernal). Verve, délire cynisme voire ironie mordante sur les travers de la société française du second empire à travers le prétexte mythologique, Jacques, « petit Mozart » des boulevards démontre à contrario son génie lyrique dans un genre savoureux et comique. Divertissant, Orphée versus Offenbach n'en est pas moins une juste et sévère critique de l'hypocrisie sociale. ________________________________________________________________________________________________ ARTE, sam17 août 2019, 22h35.
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